Comment montrer sans exposer ?

L’insoluble dilemme des artistes en temps de COVID

Par Lou Salomé pour le L·I·ARTFacebook L·I·ART

La crise sanitaire du COVID-19 a été soudaine et radicale pour le monde de l’art et de la culture. Du jour au lendemain : tomber de rideau. Certains artistes ont mis du temps à trouver une voie pour s’exprimer dans ce contexte compliqué et occupé par les annonces gouvernementales et les fake news. D’autres ne s’en sont jamais remis.

Pour ceux qui ont réussi à garder active leur créativité, le chemin est encore long avant la libération sûre et définitive des salles d’expositions, galeries, musées et ateliers d’artistes. Pour le moment, le monde de la culture reste suspendu aux lèvres des différents gouvernements qui peuvent annoncer du jour au lendemain des mesures restrictives sonnant le glas d’un calendrier d’expositions et événements.

Dans ce contexte, comment faire pour garder contact avec son public et diffuser ses nouvelles œuvres ? Comment assurer des ventes qui permettront de garder la tête hors de l’eau le temps que l’activité culturelle et artistique puisse reprendre de manière pérenne et sereine ? Comment continuer à créer ?

Les musées (comme le Louvre ou la Chapelle Sixtine au Vatican) et les galeries ont permis de visiter virtuellement leurs locaux (voir Sortir à Paris et 7 expositions à voir de son divan), de naviguer en ligne dans le contenu de leur collection y compris sous des formes payantes ou de proposer des activités en ligne comme des MOOC (Massive Open Online Courses ou cours en ligne gratuits ouverts au grand public). Le conseil de l’Europe a publié un article rassemblant plusieurs initiatives en Europe du monde de l’art en réaction au COVID-19.

Le monde du spectacle vivant, du cinéma et de la vidéo ont sorti leur épingle du jeu en proposant du contenu, nouveau ou ancien, en ligne sous forme de vidéos, de prestations live parfois même en direct (comme Good bye Vivid, les opéras contemporains créé par l’Opéra de Paris, spectacles joués à l’Apollo Théâtre) ou en proposant des contenus différents ou adaptés sur les réseaux sociaux. Par exemple, Vérino proposait un service de vidéo à la demande avec ses anciens sketchs et le spectacle de sa tournée interrompue. Paul Taylor a reçu des invités pour discuter de sujets sur YouTube et -M-, comme d’autres chanteurs et musiciens, a diffusé des spectacles en direct de son salon.

Mais qu’en est-il des artistes plasticiens ?

Les artistes, grands créatifs, ont su innover dans ce domaine et proposer plusieurs pistes pour exposer sans être en présence du public. Les exemples mentionnés par la suite illustrent les grandes tendances avec, entre autres, des artistes de la Grande Région. Cet article a vocation d’étudier la forme de la mise en public d’œuvres artistiques. Le sujet du Coronavirus a bien sûr aussi beaucoup nourri le fond et le discours d’œuvres créées en 2020-21, mais ce sujet ne sera pas traité ici.

Les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont été le premier support utilisé par les artistes plasticiens pour garder contact avec leur public. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que ce nouveau support a appelé des créations ou des modus operandi différents. Ainsi le street artiste Banksy a utilisé les murs de sa propre salle de bain pour s’exprimer au lieu des murs de la ville et a diffusé ces nouvelles créations sur les réseaux sociaux, puisqu’elles ne pouvaient être partagées autrement avec le public. L’artiste Miriam R. Kruger, très active sur les réseaux sociaux, a interviewé 30 autres artistes (artistes plasticiens mais aussi écrivains, chanteurs, etc.) notamment pour échanger sur leur manière de vivre la crise sanitaire et pour montrer que les artistes restent actifs, même si les expositions et ateliers ne sont pas ouverts pour montrer le résultat de cette activité. Un compte Instagram créé par trois passionnés d’art espagnols, CAM The Covid Art Museum”, devient un musée rassemblant des œuvres sur la thématique du Coronavirus. Stuart Semple a, quant à lui, joué le rôle d’un professeur d’art en live sur les réseaux.

FAN de Lou Salomé par Miriam R. Kruger.

Performer sans public

L’artiste Egberdien van der Peijl a effectué des performances sans public diffusées ensuite sur les réseaux sociaux.

Les expositions virtuelles

Certaines expositions ont été numérisées en réalité virtuelle pour qu’il soit possible d’y naviguer depuis son ordinateur ou son smartphone.

La quinzième édition de Foam Talent, exposition photo organisée par le magazine Foam, s’est déroulée en ligne, en permettant de naviguer parmi les œuvres sélectionnées.

Une autre forme d’exposition virtuelle a émergé : les expositions vidéo. Des œuvres d’un ou plusieurs artistes sont compilées en une vidéo diffusée ensuite sur Internet. Miriam R. Krueger en a diffusé trois : une exposition mettant en avant le travail de femmes plasticiennes dans la Grande Région “Sorority”, une exposition avec plusieurs photographes “Focus” et une exposition en binôme avec Michel Spanos. Ces vidéos étaient diffusées sur Facebook ou YouTube à une heure précise pour simuler un vernissage en essayant de regrouper les artistes et le public avec un échange en direct via le chat. 

Exposition Sorority présentée par Miriam R. Kruger.

Les expositions en extérieur

L’extérieur est resté plus ou moins accessible en fonction des directives gouvernementales. Les artistes se sont donc tournés vers l’extérieur pour présenter leurs travaux. Par exemple, certaines galeries d’art avec pignon sur rue ont fait un effort pour animer leurs vitrines. La ville d’Audun-le-Tiche a déplacé son exposition annuelle d’artistes dans les vitrines des différents commerçants. Pour utiliser l’extérieur, sans risque de détériorer les œuvres, des photos d’œuvres imprimées, entre autres, sur des bâches ont été exposées. Ainsi, l’artiste Mo. a proposé une exposition collective, ARTEN 14 sur le thème de la nature, accrochée sur les remparts de la cité de Rodemack (57-Moselle) et à Hettange-Grande (57-Moselle). 

Crédits photo: Mo. Œuvre de Lou Salomé présentée dans le cadre de l’exposition ARTEN14.

L’art à domicile

Pour satisfaire leur besoin de voir et de ressentir l’art en réel, l’art se déplace directement chez les particuliers. Les artistes proposent leurs œuvres sur un site web, les particuliers intéressés ont 15 jours pour déclarer leur intérêt. L’artiste sélectionne un heureux élu et lui amène l’œuvre pour une exposition temporaire en direct dans son salon.

Changer de support

La crise sanitaire a également été l’occasion pour certains artistes de changer de support ou d’expérimenter de nouveaux matériaux. Par exemple le peintre Hockney est passé au numérique.

Les artistes et plus largement le monde de l’art ont su se montrer créatifs dans leur manière de toucher et échanger avec le public. Montrer sans exposer est devenu une nécessité pour continuer à exister. Pour beaucoup d’artistes, l’intérêt est moindre de continuer à créer sans pouvoir partager le fruit de son travail puisque c’est le regard du public qui fait l’œuvre.

Bibliographie